Au travers de la Toscane.
Nous voici sur le chemin au travers de la Toscane. Notre longue traversée de cette belle province italienne nous conduit de Pontremoli après le passage des Apennins jusqu’au-delà de Montepulciano avant d’aborder l’Ombrie. Arrivés à San Gimignano, ville médiévale connue pour ses tours de pierres, nous en avons déjà parcouru une bonne moitié.
Notre parcours nous a fait longé la Ligurie sur le flanc des derniers replis des Apennins où nous pouvions apercevoir la Méditerranée à quelques kilomètres. Après ces ondulations, c’est la superbe ville de Lucca (patrie de Puccini) qui nous a ouvert ses portes. Revenus dans la plaine, une chaleur étouffante nous a saisie. Les plus de 35° à l’ombre ne nous ont plus quittés depuis.
Les collines typiques de la contrée sont maintenant notre décor quotidien. Oliviers, vignobles où le raisin commence à murir, chaumes qui subsistent après les moissons, champs récemment retournés, tout semble écrasé sous une chape de plomb. Les pauvres pèlerins que nous sommes, même en démarrant très tôt le matin, sont vite rattrapés par la chaleur.
(voir les cartes pour cette partie du périple sur ce chemin au travers de la Toscane : Pontremoli - Lucca et Lucca - Buonconvento)
Conditions de plus en plus difficiles.
L’hydratation est donc un point essentiel. Mais de nombreuses portions du parcours sur des routes et sur l’asphalte sont très éprouvantes pour les pieds. Des arrêts fréquents sont nécessaires pour les aérer et les rafraichir. Mais malgré cela, ils nous font bien sentir qu’ils n’apprécient pas ce régime particulier après les 1500 kilomètres déjà parcourus.
La météo italienne n’annonce pas d’amélioration pour l’instant et nous savons qu’en descendant vers le sud, la chaleur n’ira sans doute pas en diminuant. Nos organismes commencent à donner des signes de fatigue. C’est pourquoi nous avons décidé de nous concentrer sur notre premier objectif : Assise. Nous en avons encore pour environ deux semaines avant de rejoindre la cité de Saint François. Dans le soucis de préserver notre santé, nous allons en faire le point final de notre périple.
Abécédaire du vécu du pèlerin (III)
Après ces nouvelles de notre progression, voici maintenant la suite de l’abécédaire que nous avions entamé dans les articles précédents.
Pour le L
- Lessive : Jour après jour, une nécessité. Sans cela, le risque est grand d’incommoder son entourage ou de s’indisposer soi-même. Devient vite un rituel. Différentes techniques : profiter d’une lessiveuse disponible ou d’une laverie, frotter à l’ancienne à la main, se laver tout habillé, … Soucis supplémentaires, trouver un endroit propice et efficace afin de faire sécher le linge pour le lendemain.
- Liberté : sentiment / espoir du voyageur vagabond, ne dépendre que de soi-même ; en fait un leurre ; à moins de s’équiper d’une tente ou d’être prêt à vivre l’aventure totale et toutes ses avanies, le pèlerin est très largement dépendant de ce qui lui est offert pour subvenir à ses besoins quotidiens.
- Logement : pour le pèlerin, cela peut être au choix
- Pour le confort
- Une chambre chez des amis ou des membres de la famille,
- La chambre qu’une personne passionnée met à votre disposition parce qu’elle aime accueillir,
- Une simple et belle chambre d’hôte,
- Un château médiéval où vous disposez de la tour de guet,
- Un accueil communal aménagé avec soin par une petite commune,
- Une maison accueillante gérée par des volontaires,
- Un palais renaissance bien restauré,
- Un internat scolaire qui met à disposition des chambres d’étudiants,
- …
- Moins confortable
- Un grenier au milieu de la collection de livres de votre hébergeur,
- Une cave quelque peu aménagée mais qui suinte l’humidité,
- Une sous toiture surchauffée par une journée de soleil,
- Un logement où, après une longue étape, il faut faire 3 km pour aller chercher la clé.
- Pour le confort
- Lumière : celle qui scintille au petit matin au travers des oliviers, celle du soleil couchant sur la Thiérache qui s’endort, celle qui vous éblouit quand elle inonde les vignobles de Champagne, du Léman, du Val d’Aoste ou de Toscane, celle de la rue qui remplit votre chambre sans rideaux, celle qui assombrit vos contre-jours dans les ruelles étroites, celle …
Pour le M
- Manger : comme le pèlerin n’emporte pas son frigidaire avec lui et que son sac ne peut emporter des quantités importantes, ses quelques réserves non périssables deviennent vite insuffisantes ; quand en plus il doit respecter des restrictions (intolérance au gluten pour citer un exemple), cela augmente les nécessités de veiller quotidiennement à son alimentation :
- Courses pour le pique-nique du midi,
- Repas du soir plus consistant, compatible et suffisamment varié (fruits, légumes, protéines, sucres lents, …)
- Respect d’un budget supportable,
- Se faire plaisir en profitant des spécialités locales (saucissons, fromages, vins, gelati, …)
- Marcher : la fonction principale du pèlerin. En principe, rien ne l’arrête : « pluie du matin n’arrête pas le pèlerin » ; de manière générale, la marche agit comme un ressort – dès qu’il se lève, le pèlerin a des fourmis dans les jambes ; seuls de forts dommages aux fonctions pédestres peuvent le retenir et encore il lui faut pour cela se raisonner.
- Matin : le moment de grâce, le moment magique ; reposé le pèlerin se sent guilleret ; l’air est frais ; la lumière est belle ; après un petit rodage, le pied devient vite agile et souple ; l’allure est rapide ; profitons-en car « ce qui est fait n’est plus à faire » et cela ne durera pas nécessairement toute la journée.
- Migrants : une question particulièrement voyante en Italie ; nous croisons tous les jours des gens qui visiblement sont déracinés et ont trouvé refuge ici ; nous ne pouvons pas nous empêcher de comparer leur condition et la nôtre en ce qui concerne le déracinement, le voyage, la culture, les moyens de subsistance, … ; mais il y a loin de notre condition à la leur ; nous avons souvent une pensée pour eux.
- Monument : il n’est pas une étape de notre périple où un monument n’ait accroché notre regard ; plus connu ou plus anonyme, plus simple ou plus élaboré, plus ancien ou plus récent, ils nous racontent tous à leur mesure un bout d’histoire, un morceau de culture ; nous en oublierons beaucoup mais, ne fut-ce qu’un instant, ils nous ont fait entrer dans la vie locale, dans la petite ou la grande histoire.
Pour le N
Nature : elle nous entoure quotidiennement, elle foisonne, elle vit ; elle évolue dans le temps ; faire le chemin sur un certain laps de temps, nous amène régulièrement à faire des constats, des observations et à relever les changements.
Nomade : le nomadisme consiste à emporter avec soi tout ce qui est nécessaire afin de changer de lieu en fonction de ses activités ; le nomade n’est pas un vacancier qui lui n’est expatrié que quelques jours voire deux ou trois semaines ; nous ne nous sentons pas en vacances ; nous avons le sentiment d’être devant une tâche à accomplir chaque jour (aller de tel point à tel autre) ; pour cela nous emportons avec nous notre nécessaire ; nous en oublions presque les autres réalités de la vie ; « presque » car nous savons que nous ne sommes pas de vrais nomades.
Nouveau : cheminer c’est aussi pratiquer la nouveauté dans la répétition ; comme nous l’avons déjà décrit, nos journées sont de véritables rituels ; mais chaque jour apporte son lot de nouveautés : chemin, villages, région, compagnons de route, évènements, … Bonne ou mauvaise, la nouveauté est l’occasion d’envisager de nouvelles questions, de nouvelles perspectives ; elle apporte un peu de piment dans la vie qui sans cela deviendrait vite très monotone.
Pour le O
Odeur : Plus nous avançons vers le sud, plus les températures augmentent, plus les odeurs autour de nous sont exacerbées : plantes de toutes sortes mais surtout les plantes condimentaires sauvages (menthe, thym, sauge, …), fleurs odorantes des bois, des prés et des jardins (genêts, lilas, chèvrefeuille, roses, …), parfums des travaux des champs (de la fenaison à l’épandage du fumier), moments de la journée (fraîcheur du petit matin, moiteur des après-midi chaudes, senteurs du soir, …), odeurs des préparations qui mijotent et exhalent par les fenêtres des cuisines, puanteurs des poubelles qui fermentent sous le soleil, des dépôts clandestins, des ruisseaux transformés en cloaques, … ; le nez du pèlerin passe ainsi au gré du chemin de parfums attirants à des émanations répulsives.
Oiseaux : nous nous sommes amusés souvent au petit jeu de « quel est cet oiseau qui chante ? » ; à partir de nos maigres connaissances, nous en avons repéré quelques-uns, mais souvent nous n’avons pu que nous émerveiller de leur chant alors que l’interprète nous restait inconnu ; les oiseaux se montrent à nous aussi par leur vol ou leur silhouette ; en France, dans le Jura suisse, dans les Alpes et dans les Apennins, ce sont les rapaces qui ont prédominé dans nos observations ; dans la plaine du Pô et près des rivières de Toscane, nous avons rencontré beaucoup d’échassiers (hérons, aigrettes, …) ; avec l’apparition des fortes chaleurs, dès la fraîcheur du matin disparue, c’est le calme plat, plus un cri, plus un chant, plus un vol.
Ombre : « Auprès de mon arbre, je vivais heureux » chantait Brassens. Le pèlerin peut aussi chanter cela. Quand il voyage à pied par forte chaleur et sous un soleil de plomb, une première technique consiste déjà à choisir le côté du chemin sur lequel porte l’ombre des arbres qui sont en bordure (ce sera parfois un bâtiment ou une maison qui fera l’affaire lors des traversées d’agglomérations) ; mais si par malchance, vous traversez dans ces conditions une région plutôt pauvre en végétation, le seul arbre disponible, si malingre qu’il soit, devient une bénédiction du ciel pour quelques instants.
Orientation : Paul le Hollandais, vous dirait à ce mot qu’il ne croit qu’au soleil ; savoir vers où aller c’est, dans ce cas, savoir quel point cardinal suivre et comment le déduire de la position du soleil suivant l’heure, mais que faire si le ciel s’assombrit ; certains ne jurent que par le fléchage placé par les Gentils Organisateurs du chemin que vous suivez, mais que faire si le fléchage manque ou a été déplacé par un petit plaisantin ; les derniers ne croient qu’en leur guide papier, mais parfois la description n’est pas très précise ou inexacte ; d’autres se vouent corps et âme au dieu GPS, mais que faire s’il vient à faillir et tomber en panne ; bref nulle méthode ne se suffit en elle-même ; rien de tel que de les combiner entre elles.
Pour le P
Partager : sens inné chez l’être humain (quoi qu’on en pense) dont bénéficie le pèlerin : des jeunes qui offrent un pain, des pansements donnés pour soigner les pieds, des fruits, légumes, biscuits mis à disposition, des informations, des conseils, des histoires, des sourires, des bonjours, …
Partir : au début, c’est une sorte d’évasion du quotidien, un peu comme si on partait en vacances ; mais très vite on sent que ce n’est pas cela ; d’une part, il y a un objectif, un projet à mener et d’autre part, ce n’est pas toujours une partie de plaisir, il faut pouvoir prendre sur soi ; il y a aussi des moments d’interrogation, « dans quoi nous sommes-nous embarqués » ; il faut donc se remotiver et garder du sens à ce qu’on fait ; et puis de temps en temps on pense à ce qu’on a laissé et qu’on aspire tout de même à retrouver bientôt.
Pied : l’élément concret et « terre à terre » qui relie le pèlerin à la réalité ; sans lui, sans sa force, sans son énergie, sans son confort nul pas en avant n’est possible ; donc il est l’objet de toutes les attentions et de toutes les préoccupations (prévention et soins) ; que ne dépenserait-on pas en produits de toutes sortes pour le choyer ; il devient ainsi un des thèmes principaux des échanges entre pèlerins au repas du soir (d’où l’expression : mettre les pieds dans le plat).
Punaise : expression populaire qui signifie plus ou moins « ça alors ! » ; se prononce habituellement « puuunaise » ; cette expression vient sans doute de l’exclamation du pèlerin quand il en découvre dans son lit et dans son sac. Heureusement, cela n’a pas encore été notre cas.
« Les hommes sont comme les plantes : les unes aiment le soleil, les autres aiment l'ombre. »
Proverbe oriental.